L’ophrys bourdon illustre parfaitement la beauté et le risque de l’hyperspécialisation en biologie. Cette orchidée a évolué pour dépendre d’un seul pollinisateur, le mâle de l’abeille solitaire Eucera, qu’elle leurre par la pseudocopulation grâce à une imitation olfactive et tactile des phéromones de la femelle. Cet investissement reproductif majeur exige une synchronisation phénologique quasi parfaite entre la courte période de floraison et le vol de l’insecte. Si cette rencontre venait à échouer, par exemple en raison du changement climatique qui peut désynchroniser l’émergence des abeilles et la floraison, le succès reproducteur de l’ophrys chuterait drastiquement. À l’échelle locale, la disparition de l’abeille Eucera mènerait potentiellement à la co-extinction de l’orchidée. Certaines populations d’ophrys bourdon peuvent se rabattre sur l’autogamie (auto-fécondation) comme stratégie de secours. Toutefois, si cette solution assure la survie immédiate, elle réduit la diversité génétique, rendant l’espèce beaucoup moins résiliente aux maladies et aux stress environnementaux futurs. L’ophrys nous rappelle que la perte d’un seul maillon, même minuscule, peut déstabiliser tout un écosystème.
Le Bollenberg, les 29 avril 2018