Certains habits se portent avec fierté, alors que d’autres doivent rester discrets, ne pas être trop voyants ou mal assortis. Parmi les plus mal lotis, on trouve la chaussette. Son existence n’est pas vraiment enviable : enfermée et pressée de toute part, elle est tenue de vivre avec des odeurs désagréables sans pouvoir prendre l’air quand elle est au bord du malaise. Le seul moment vraiment intéressant dans la vie d’une chaussette c’est quand elle se balance au vent, suspendue au séchoir, en compagnie de toute sa fratrie. C’est là qu’elle peut donner libre cours à toutes sortes de commentaires sur les pieds qu’elle est censée protéger et qui font preuve d’une grande ingratitude à son égard. Il arrive que l’une d’entre elles manque à l’appel, oubliée dans le coin d’une armoire ou victime d’un accident qui lui troue la peau. Alors son entourage essaye de consoler autant que possible l’âme sœur, à présent solitaire, qui s’inquiète sur son propre sort. Depuis qu’on ne reprise plus les chaussettes trouées le nombre de dépareillées explose et elles finissent toutes par disparaître. Pour ne pas penser aux affres de la fin de vie, la chaussette se réfugie souvent dans un rêve : servir de nid douillet à une nichée d’oiseaux et pouvoir vivre enfin au grand air.
Baldersheim, le 18 avril 2025
